#Dylan
Dylan
La première c’est Joséphine. C’est ma grande sœur, et on
l’appelle Jo. Faut toujours qu’elle me tape si je suis pas d’accord de faire
comme elle veut. Elle se prend pour celle qui commande, et en plus ses dents
elles sont jaunes et moches, mais quand même, elle me manque beaucoup Jo si
jamais j’suis trop longtemps sans la voir.
En numéro 2, c’est un garçon, il s’appelait Samy, moi je
l’ai pas connu du tout, sauf la photo en grand, encadrée sur le mur du salon.
Maman, elle m’explique qu’il est parti au ciel, parce que certains bébés sont
fragiles, et alors elle a ses yeux qui coulent, et moi je sais plus comment
faire pour qu’elle y pense plus à sa tristesse.
Ensuite c’est moi. Dylan.
Je suis pas très costaud, mais plutôt malin. Je suis pas monté au ciel quand
j’étais bébé comme Samy, et heureusement, j’ai pas non plus des dents qui puent
la fesse comme Jo. Maman elle dit que
j’suis son sacré numéro, un qui lui porte la chance et la vie en rose. Et quand elle est partie avec les menottes,
et que le monsieur il a dit qu’elle partait pour la mézon daré (que j’sais même pas ce que c’est, mais j’ai compris que
grave), moi j’ai pensé que c’était tout ma faute, et que en fait j’étais plutôt
son erreur de numéro qu’un porte chance…
Le 4 c’est encore une fille. Nadyia, comme celle qui chante
à la radio, que maman adorait, et donc elle dansait avec son sourire soleil
dans la minuscule cuisine avec son gros ventre et le bébé fille dedans, et moi
j’me sentais heureux comme ça. Nadyia a tendance à tout foutre par terre, ses
biberons, son hochet, un bout de pain. Elle tire sur mes oreilles en bavant et
elle fait bravo en riant, je trouve ça très débile et bébé, mais bon quand même
y a certains jours où j’ai pas le moral et ça peut me le redonner, faut
l’avouer.
Après
les présentations, on peut raconter ce que maman a fait à ce type qui vivait
dans l’appartement avec nous. C’était pas le père de Jo, ni celui de Samy, ni
celui de moi, ni de bébé Nadyia. Non, c’était juste un gars. Avec de drôles de
manières. Pas vraiment drôles en fait.
On devait jamais faire de bruits, il faisait
que rentrer/sortir de chez nous, et il puait pas que de ses dents lui c’est
clair. Si on faisait trop « les sales mioches » comme il disait, il
nous choppait par la peau du cou ou des fesses, et il nous foutait avec Jo dans
le noir des cabinets en gueulant. Et j’voyais bien que maman savait plus
comment faire, en plus elle avait son gros ventre donc elle essayait de lui
taper dessus pour nous défendre mais elle était pas si forte que lui. Moi j’me
disais dans mon cœur en grinçant des dents que quand j’serai grand, j’lui f’rai
la peau, mais y a pas eu besoin, maman s’en est chargé finalement. Un jour elle
est rentrée dans la salle d’eau alors que j’étais tout nu avec le type à côté
de moi, à me regarder et faire des trucs dans son pantalon qui semblaient pas
normaux.
Il faisait que d’m’répéter « tu dis rien à ta connasse
de mère ou j’te tue ». Tu penses que j’voulais être plus fort et lui péter
sa gueule, mais c’est pas ça que j’suis, donc j’faisais oui-oui en silence et j’avais froid au cul d’être à poils. Maman
est rentrée des courses et quand elle a vu ce qui se passait, son visage est
devenu horrible. Je savais bien que j’avais fait une bêtise, et je voulais pas
la voir se fâcher mais j’ai rien pu faire…alors, c’est devenu terrible.
Tellement que j’peux plus raconter, à part que c’était ma faute, comme j’suis
une erreur de numéro qu’à tout fait éclater la vie de famille parce que j’étais
tout nu sur le carrelage et pas assez costaud pour démonter le type moi-même.
Maintenant j’attends. J’attends qu’elle revienne maman. Mais
le temps passe et elle rentre pas.
Jo est dans un foyer parce qu’elle pique
tout le temps des trucs, et elle casse les vitres et les miroirs sans prévenir
comme ça avec ses deux poings, donc y a aucune famille qui veut d’elle.
Avec
Nadyia on est tous les deux ensembles chez Mme Picou et son mari. Ils sont un
peu vieux, mais ça va la cuisine est bonne et les punitions c’est juste
« privé de dessert », ou « privé de télé » alors pas
de quoi chialer.
Chaque soir après la classe, je vais voir des dames pour
dessiner, parler et faire des activités. C’est à cause « du
traumatisme » a dit la juge que j’ai besoin qu’on m’aide dans un centre
spécialisé. Faut excuser les grands, ils comprennent pas toujours tout, même
quand ils ont bien travaillé à l’école. J’veux dire par là que les erreurs de
numéros ça peut arriver à tout le monde et que c’est plus ou moins grave.
Ce
matin j’ai reçu une lettre. Pas longue. L’écriture était rose et sentait la
fraise, ou le sucre. Comme je sais pas lire, même que j’suis en CE1 et j’suis
le seul de ma classe dans cet état là sur le plan cérébral d’après les copains
(à qui en fait je casse la gueule, parce que maintenant j’ai plus peur de
personne), enfin bon, comme je sais pas lire, c’est Mme Picou qui l’a fait pour
moi. Avec sa voix douce qui de loin peut ressembler à celle de maman…et ça
disait :
Mon Dylan, mon sacré numéro, ma
chance à moi, je pense à ton visage et à tes inventions de clown chaque jour. J’espère que tu es sage
dans ta nouvelle famille et que tu travailles bien à l’école. Ici, le temps ne
passe pas vite, mais il passe. Toi et tes sœurs vous me manquez mais on va se
retrouver alors il faut tenir. Dylan chéri tu le sais qu’on n’a pas besoin d’être ensemble pour
s’aimer fort. Même si on est loin, ça cogne encore dans nos cœurs. C’est pour
ça mon Dylan baisse pas la tête comme ça, lève le menton, et marche droit
devant, t’arrêtes pas.
Ta maman qui t’aime.
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