#El&

Nous sommes de ces philosophes de l'effondrement.
Ça fait longtemps qu'on résiste.
Toi tu disais guerre numérique, moi je disais catastrophe climatique, l'univers a répondu crise sanitaire.
Nous savions.
On a subi les railleries, et qu'on était juste des paranos, des chiants, des flippés, des extrémistes.
On a quasi tout lâché de notre première vie, on en a construit une seconde. Ça t'a bien cassé le dos et les reins et pendant plusieurs années, nos gosses ont râlé pendant que moi j'te trouvais vraiment très fort. Ton silence peut peser lourd parfois. Mais t'es très fort.
A ta manière tu nous as offert d'y voir clair.


Ça m'a très vite élargi le cœur ce changement parce que tout semblait plus vrai, plus juste, plus réel. Les murs de vieilles pierres de ce relais de poste devenu notre planque. Le tilleul immense sous notre fenêtre. Le clocher qui sonne toutes les heures. Le vent dans le linge étendu. Le vol des chauve-souris. Les légumes que tu faisais pousser. Les blagues des gamins. La sciure de bois dans nos chiottes sans eau. Les conserves à la cave. Les radiations du soleil sur les pavés de la cour. Les poules qui font grève de la ponte mais qu'on va pas se résoudre à bouffer vu que tu les as quasi domestiquées. La poussière sur mes livres que tu te décides à lire un par un maintenant que t'as du temps. L'odeur du gâteau aux pommes dans le four.


Le confinement ne change pas beaucoup ta vie, hier tu me l'as redis.
Il ne change pas beaucoup la mienne non plus.
C'est vrai. Tout ce qu'on a ici, bat encore dans nos cœurs. Un peu plus fort même.
On a nos privilèges. Ils sont immenses.
Mais la peur, la colère...


On va quand même continuer d'écouter l'univers.


Les étoiles nous guident. Elles font des murmures et des prières elles racontent de quelle manière l'eau est sacrée et pourquoi le sauvage doit le rester. Elles disent : « Travaille la terre, écoute-la, soigne-la, elle te fera vivre ! Écoute le souffle du vent, il te guide. Humain arrête-toi ! Regarde, c'est une chance que l'univers t'offre avec ce virus, il te dit arrête, il te dit écoute, il te dit regarde, il te dit protège ce trésor... »


Devant mes yeux, il y a le voile de la peur et celui de la colère. J'ai envie d'accuser tous les humains fous de profit, de gloire, de pouvoir. J'ai envie de hurler, casser des gueules, cracher mes rancœurs. J'me retiens, ça mènera pas assez loin. 


Je suis de toute façon de cette espèce. Celle des Hommes. J'ai manqué moi aussi de courage, j'ai manqué de m'imposer, j'ai manqué de voir vraiment.
Ça serait pitoyable que je donne des leçons.

Le temps nous manque. Le temps est passé. On a pas vraiment d'excuse. On a pas trop de mérite. 


On est complètement parti en live mais on peut redescendre un peu (beaucoup même). On est pas seulement victime on est les bourreaux, les acteurs aussi. On a le devoir de mémoire et celui d'inverser la tendance. Le devoir de faire le choix de ce qui pour nous est essentiel. Maintenant.
Pas demain, pas hier, maintenant.


Je ne vois que du beau quand le vent cavale dans les branches du saule. Je ne sens que du love.
Avant, pendant, après le confinement. L'essentiel.



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